Règle du jeu
Rappelons tout d'abord la règle du
jeu de Marienbad popularisé par le film L'
Année dernière à Marienbad
réalisé par
Alain Resnais, sorti en 1961.
On dispose de 4 rangées de jetons ou d'allumettes ou autres...
Soit ici, respectivement
1,
3,
5 et
7 allumettes
À chaque tour, chacun des joueurs prend le nombre d'allumettes qu'il veut, mais au moins une et ceci dans
une seule rangée.
- Variante 1 : le joueur qui prend la dernière allumette a gagné.
- Variante 2 : le joueur qui prend la dernière allumette a perdu.
Voici un plateau pour vous entraîner. La règle est celle de la variante 2, le joueur qui prend la dernière allumette a perdu :
Méthode pour gagner
Au jeu de Marienbad, il existe des combinaisons dites
gagnantes. Ce sont ces combinaisons-là que vous devez
retourner à votre adversaire pour gagner. Toutes les autres sont réputées
perdantes. Pour savoir si une
combinaison est gagnante, il faut traduire le nombre d'allumettes de chaque rangée en
base binaire et en
faire la somme en
base décimale.
Si le résultat ne comporte que des nombres
pairs, la combinaison est dite gagnante.
Si le résultat comporte des nombres
impairs, la combinaison est dite perdante.
Si vous n'êtes pas familier avec ces notions, vous pouvez visiter
cette page de Wikipédia.
Et si vous y êtes vraiment allergique, rassurez-vous, il suffit de partir de cette correspondance :
Base décimale |
Base binaire |
0 |
0 |
1 |
1 |
2 |
10 |
3 |
11 |
4 |
100 |
5 |
101 |
6 |
110 |
7 |
111 |
Le joueur qui hérite d'une combinaison perdante doit alors modifier une des rangées de telle sorte qu'en
effectuant la somme en base décimale des valeurs binaires comme ci-dessus, il obtienne uniquement des
nombres pairs, ce qui lui permet de retourner une combinaison gagnante, et ainsi de suite.
Le joueur qui hérite d'une combinaison gagnante ne peut
jamais retourner une combinaison gagnante.
Dans la variante 1, cette méthode s'applique complètement. Dans la variante 2, il faut inverser la logique
en fin de partie. Ce point sera précisé à la fin du prochain paragraphe.
Ici, la position de départ donne
1+11+101+111= 224. C'est une combinaison gagnante. En considérant
que les joueurs jouent de façon parfaite, celui qui commence est donc assuré de perdre.
On peut imaginer d'autres situations de départ avec plus ou moins de rangées contenant plus ou moins
d'allumettes, la méthode décrite ici est toujours valable en tenant toujours compte de l'exception de la
variante 2.
Encore faut-il le
démontrer ! Alors, allons-y.
Démonstration de la validité de la méthode
Il existe des démonstrations mathématiques du mécanisme présenté au paragraphe précédent.
Par exemple sur cette page Wikipédia
Ces démonstrations se basent sur les travaux de
Charles Bouton.
Pour un non-mathématicien, elles paraissent plutôt obscures, aussi, je vais essayer d'en faire une
démonstration en utilisant uniquement des raisonnements logiques de façon à rester accessible au plus grand
nombre.
Tout d'abord, oublions le jeu lui-même et concentrons-nous uniquement sur la manipulation des valeurs et de leur représentation.
Soit une série quelconque de valeurs exprimées sous forme binaire :
1010110
1010
101001
11
101110
Ici, nous avons successivement 86, 10, 41, 3 et 46, mais cela n'a aucune importance.
L'addition sous forme décimale de chaque colonne, que nous appellerons "total" entre guillemets, donne successivement 1, 2, 1, 3, 2, 4 et 2 que nous noterons
1213242 pour simplifier.
Il suffit d'ajouter à ce total
1011000 pour obtenir la suite de nombre
2224242 et faire ainsi en sorte que le nouveau "total" décimal ne soit composé que de nombres pairs. Ce qui donne :
1010110
1010
101001
11
101110
1011000
"Total" décimal : 2224242
Cette façon de "compter" est évidemment bizarre d'un point de vue mathématique, mais elle a une
propriété importante :
Si l'on modifie une seule des valeurs, il est strictement
impossible d'obtenir comme "total" une suite
de nombres
pairs. En effet, pour modifier une valeur, on ne peut que supprimer ou ajouter un ou plusieurs
chiffres
1 dans la rangée choisie et, par conséquent, rendre
impair un ou des nombres parmi ceux qui
composent le "total".
Ceci étant dit, voyons si on ne peut pas utiliser ce principe pour créer un jeu...
Soit 2 allumettes disposées sur deux rangées comme ceci :
(Figure 1)
La règle du jeu sera simple : Les joueurs doivent prendre une allumette chacun à leur tour et c'est celui
qui
prend la dernière qui gagne. Ce n'est pas encore
Marienbad, mais on y viendra.
Évidemment, ici, celui qui commence a perdu.
Compliquons un petit peu :
Maintenant, on peut prendre le nombre d'allumettes que l'on veut, mais dans une seule rangée. Ici, il
suffit de prendre 1 allumette dans la première rangée pour arriver à la
figure 1 et gagner.
Ce sera valable quel que soit le nombre d'allumettes de la première rangée, il suffira de n'en laisser
qu'une.
Compliquons encore :
La règle ne change pas. Maintenant, il faut éviter que l'adversaire puisse nous renvoyer la
figure 1.
Il faut donc ne prendre qu'une allumette dans la première rangée :
Ensuite, si l'autre joueur prend une seule allumette, on fait de même sur l'autre rangée et on revient Ã
la figure 1. S'il en prend 2 (appelons ça un "suicide") on prend le reste et c'est gagné !
On peut continuer comme cela indéfiniment. Sauf si un joueur se "suicide" en cours de jeu, on en
viendra toujours à la
figure 1 qui sera gagnante, quels que soient le nombre de rangées et le nombre
d'allumettes dans chaque rangée.
Avec les règles indiquées ici, notamment celle qui énonce que le gagnant est le joueur qui prend la
dernière allumette, la figure 1 est donc le passage obligé pour gagner (toujours avec 2 joueurs qui jouent
de façon parfaite jusqu'au bout).
Revenons maintenant sur notre façon de compter du début. On a montré qu'à partir d'un "total" pair on ne
pouvait jamais retourner un autre "total" pair. Donc, en appliquant ce principe à notre jeu, et en
considérant deux joueurs "parfaits" celui qui retourne une combinaison dont le "total" est impair a
perdu puisqu'il ne pourra
jamais retourner la
figure 1 Ã son adversaire.
Encore faut-il démontrer qu'au coup suivant, quelle que soit la combinaison qui a donné ce nouveau "total"
impair, le joueur peut alors retourner un "total pair.
Pour cela, prenons un "total" impair quelconque, par exemple celui pris au début de la démonstration :
1010110
1010
101001
11
101110
Le "total" est dans ce cas
1213242, "total" qui contient 3 nombres impairs.
Ici, il suffit de modifier la première rangée de la façon suivante :
- mettre à 0 le 1 de la première position,
- mettre à 0 le 1 de la troisième position
- et mettre 1 à la place du 0 de la quatrième position.
Ce qui donnera une première rangée contenant maintenant
1110 (de 86 on passe à 14) et un nouveau
"total" décimal de
204242 contenant uniquement des nombres pairs.
La règle pour rendre pair un "total" impair est donc : Utiliser une des rangées qui contient le chiffre
1 dans la colonne la plus à gauche donnant une somme impaire, enlever ce 1 et, si nécessaire, remplacer
des 0 par des 1 ou des 1 par des 0 dans cette même rangée, dans toutes les autres colonnes donnant une
somme impaire. Cette opération est évidemment toujours possible puisqu'elle revient à enlever des
allumettes d'un tas.
Le
jeu de Marienbad commence par une combinaison à "total" décimal
pair. Il suffit donc de ne pas
commencer le premier et d'appliquer ces principes pour être
gagnant à chaque fois, dans le cas où c'est
celui qui prend la dernière allumette qui gagne (variante 1). CQFD.
Attention aux subtilités de la variante 2 !
La variante 2 (la plus répandue à ma connaissance) veut que ce soit celui qui prend la
dernière allumette qui perd. Elle n'est pas très différente de la variante 1, il faut, juste à la fin du
jeu, inverser la logique, tout simplement parce que la figure 1 est devenue une combinaison
systématiquement perdante !
Alors, voyons ce qui se passe juste avant d'arriver à la figure 1 :
Cette combinaison 2 et 2 reste malgré tout une combinaison gagnante dans les deux variantes :
Dans la
variante 1, si le joueur prend 2 allumettes il a perdu et s'il prend 1 allumette l'autre joueur prendra 1 allumette dans l'autre rangée pour le faire perdre, comme on l'a vu plus haut.
Dans la
variante 2, si le joueur prend 2 allumettes l'autre joueur prendra 1 allumette dans l'autre rangée pour le faire perdre et, s'il n'en prend qu'une, l'autre joueur prendra les 2 allumettes de l'autre rangée pour le faire perdre.
Il y a encore une subtilité et pas des moindres, dans la variante 2 :
Cette combinaison qui donne
3 comme "total" décimal devient, à cause de l'inversion de la règle,
une combinaison
gagnante !
Il faut donc avoir l'oeil et ne jamais laisser à l'adversaire la possibilité de la retourner. Autrement
dit, la combinaison :
Qui donne
4 comme "total" décimal
n'est pas une combinaison gagnante dans la variante 2 !
On peut d'ailleurs penser que c'est cette difficulté supplémentaire qui a fait le succès de cette variante. Mais, hormis ces petites subtilités, la méthode générale s'applique tout au long du jeu quelle que soit la variante.
Voilà . Il ne vous reste plus qu'à vous entraîner à convertir de tête des petites valeurs binaires qui,
pour le jeu de Marienbad, ne dépassent pas 7, à en faire la somme en base décimale mentalement et,
toujours mentalement, Ã trouver la combinaison gagnante suivante...
Et enfin, quand vous serez bien rodé vous pourrez défier vos amis...
À vous de jouer !
Pour ceux qui ont de la mémoire, mais qui ne sont pas doués pour ce genre de calcul mental, il est
possible d'apprendre par coeur toutes les combinaisons gagnantes. Mais bon, c'est un peu moins gratifiant
Combinaisons gagnantes à 4 nombres :
1357 - 1346 - 1256 - 1247 - 1155 - 1144 - 1133 - 1122
Combinaisons gagnantes à 3 nombres :
356 - 347 - 257 - 246 - 145 - 123
Combinaisons gagnantes à 2 nombres :
55 - 44 - 33 - 22
Combinaisons gagnantes finales variantes 1 :
1111 - 11
Combinaisons gagnantes finales variantes 2 :
111 - 1
Remerciements
Un grand merci, malheureusement posthume, Ã
Jean-Louis Duthérage, qui m'a donné l'astuce à la sortie du
film d'Alain Resnais quand nous étions en terminale (par la suite, Jean-Louis est devenu professeur de
mathématiques).
Un grand merci Ã
Lydie Marrauld, professeur de mathématiques également (à la retraite), qui
m'a poussé à élaborer cette démonstration.
Un grand merci à l'
association AILE de Cugnaux qui,
au travers de l'organisation de cours d'informatique, m'a permis de faire revivre mon logiciel
Marienbad,
écrit dans les années 90.
Et enfin, un grand merci Ã
Tagor la Pie qui a accepté
entre deux parties de poker, d'héberger ce document sur son site...